L’autisme est un handicap.
Je venais de dire à mon amoureux « dans 4 ans j’aurais 40 et je n’ai rien fait de ma vie » quand je suis tombée sur la publication de N. T. sur Instagram qui mentionnait justement la productivité, puis sur celui de N. L. qui, je pense, y répondait en apportant une précision importante.
(Je ne leur ai pas demandé si je pouvais partager leurs publications ici donc je ne mets pas leurs noms.)
N. T. rappelait, entre autre, que notre valeur n’est pas définie par notre productivité, qui est une construction et une attente sociétale.
En effet, les personnes handicapées et malades chroniques ne peuvent souvent pas atteindre une productivité-type qu’atteignent la majorité des gens. Certaines (je ne connais pas la proportion) ne peuvent pas produire du tout.
Le monde du travail est inaccessible pour beaucoup d’entre nous, ou difficilement accessible, et nous ne pouvons pas forcément nous investir dans des activités bénévoles, donc nous ne produisons pas de richesses ni n’utilisons notre temps d’une manière socialement acceptable.
C’est très difficile de ne pas intégrer ces attentes et de s’en défaire, et le rappel que cette non-productivité ne définit pas notre valeur en tant qu’être humain est très important.
N. L. apportait une précision qui m’a beaucoup parlé. Nous pouvons aussi avoir envie de produire, et ressentir de la frustration quand nous n’y arrivons pas ou pas autant et comme nous le souhaiterions. Nous avons le droit de nous sentir frustré-e-s et déçu-e-s face à nos limites, et se sentir productif-ve peut faire partie du sentiment d’être soi-même.
Quand je dis que je n’ai rien fait de ma vie, je veux dire que je n’ai pas fini mes études universitaires, que j’ai dû fermer la boutique en ligne que j’ai tenue 4 ans, que je n’ai pas de travail depuis, que je n’ai pas d’enfant, que je ne travaille même pas de chez moi. En clair, je ne fais pas ce qui est attendu, je n’apporte pas de richesse, je ne sers à rien, je suis paresseuse.
Il me semble important que je reformule tout ça :
J’ai suivi des études universitaires quasiment jusqu’à la fin, dans un pays étranger, sans connaître mon handicap et mes difficultés donc sans soutien adapté. Et sans mes parents. (J’ai vécu 4 ans et demi en Grande-Bretagne, l’équivalent de la première, la terminale, et deux ans et demi à l’université.)
J’ai monté une entreprise, avec le soutien de ma mère, je me suis lancée dans une aventure géniale qui m’a beaucoup apportée, et j’ai arrêté quand ça devenait compliqué pour moi de la porter et de la faire grandir pour qu’elle soit « viable ».
J’ai eu plein de projets depuis, que j’ai certes abandonnés en fin de compte mais je me suis occupée et j’ai (j’espère ) apporté des choses positives aux personnes avec qui je les ai partagés.
Je m’occupe de chats. Je ne compare pas avec des enfants mais c’est déjà pas mal pour moi.
J’ai eu des relations amoureuses (c’est pas une évidence pour moi), je suis allée dans des pays étrangers, même seule mais dans des groupes une fois sur place, j’ai des relations avec les autres (ce qui n’est pas toujours facile).
J’ai traversé des dépressions, des périodes d’angoisse à étouffer, j’ai eu des pensées horribles et les gestes qui vont avec, j’ai suivi des thérapies qui ne m’ont pas toujours aidée et * je suis toujours là *.
J’ai de quoi être fière de moi.
Nous avons tou-te-s de quoi être fièr-e-s de nous, d’ailleurs : nous sommes encore là.
Je me sens très maladroite en disant cela, et je ne cherche pas à comparer ce que je peux, et ai pu, faire avec ce que d’autres peuvent ou ne peuvent pas. Pour certaines personnes, la fierté sera de s’être levée, ou de s’être assise, ou… Ou peut-être que vous n’êtes pas fièr-e-s de vous, et vous avez le droit aussi.
Je ne cherche pas à mettre la pression.
Et aussi c’est très maladroit parce que d’autres ne sont plus là, et il n’y a rien de honteux là-dedans non plus.
Mais voilà, en ce moment, depuis des années en fait, je veux écrire. J’ai une fiction qui attend que j’y consacre du temps, j’ai ce site, c’est vraiment important pour moi. Pourtant, je n’arrive pas à me donner suffisamment de temps, et l’espace (notamment dans ma tête) nécessaire, pour le faire vraiment, pleinement. Ça me frustre, et parfois je me déçois de ne même pas être capable de faire ça.
Il y a plusieurs raisons :
Le dysfonctionnement exécutif – la difficulté de me mettre à faire les choses parce que je n’arrive pas à me lancer ni à les voir comme une suite de petites étapes. Et si je ne sais pas quelle est l’étape une, c’est fichu.
Une tendance à me réfugier sur les réseaux sociaux, dans ces moments-là notamment.
Une perception du temps qui fait que, si j’ai une chose un peu longue à faire – par ex. un rendez-vous, j’ai l’impression de ne pas avoir de temps pour autre chose.
Une organisation de mes journées qui est un peu en bazar.
De la paresse ?
Des pensées saboteuses et bloquantes sur la qualité et l’intérêt de ce que je fais – c’est nul et ça ne sert à rien, voire ça peut blesser/ porter préjudice, en résumé.
Un manque de persévérance et de structure.
Vous constaterez que ces causes / raisons ne sont pas toutes liées à l’autisme et aux troubles associés, et je ne cherche pas à me cacher derrière ces troubles et handicap pour me justifier.
Cependant, c’est une part importante de mes difficultés, et parfois c’est fatigant de réorienter ce qui se passe dans mon cerveau, de le débuguer etc.
C’est comme si je faisais de la maintenance très souvent, voire la majorité du temps.
Dans certains contextes déjà fatigants ou stressants ça devient vraiment difficile, d’ailleurs.
J’y travaille, j’ai des astuces qui marchent parfois et parfois non, c’est fluctuant.
Je sais que nous devons tou-te-s dépasser un certain nombre de difficultés au quotidien, et je ne cherche pas à me positionner en « la plus à plaindre » (je ne veux pas être plainte).
Je sais aussi que des personnes ayant des difficultés plus grandes, ou même qui ont des troubles comme les miens, ou des choses beaucoup plus lourdes et fatigantes à porter y arrivent, elles.
Ça fait partie des choses qui font que je m’en veux. Mais plus je m’en veux, plus je fuis le quotidien parce que « de toute façon tout ce que je fais ne suffit pas et quoi que je fasse sera nul ».
Sauf que : chaque histoire, chaque vécu, chaque parcours et surtout, surtout, chaque personne est différente.
Je partage mon vécu pour que vous sachiez que nous sommes tou-te-s différent-e-s. Parfois je me reconnais dans certains aspects du vécu de quelqu’un d’autre, parfois absolument pas, mais nous avons une chose en commun : nous sommes humain-e-s, avec tout ce que ça englobe d’expériences et de ressentis.
C’est une galère monstre, des grandes joies, des grandes souffrances, des moments tout à fait moyens et banals, de la fierté, de la honte, des envies et des désirs, des peurs, des choses qu’on déteste, de la haine et de la colère, de la beauté, de la laideur, de l’amour, de la vie.
Il me semble que c’est un point de référence commun beaucoup plus inclusif et bien plus important que la productivité.
Dans 4 ans j’ai 40 ans et jusqu’à maintenant, j’ai vécu.