Les contes du (re) confinement
Si vous n’avez pas lu « l’homme et le loup », allez lire « Les contes du confinement ».
Huit mois avant…
Pierre rentrait des courses quand il aperçut le chien-loup. C’était tôt pour lui, mais ce qui surprit Pierre le plus était qu’il était assis à côté de la porte d’entrée de son immeuble, comme s’il attendait quelqu’un.
Quand le chien-loup s’approcha de lui, il comprit qu’il était ce quelqu’un.
« Salut toi ! » lui dit-il en le grattouillant derrière les oreilles : « Tu m’attendais ? »
Le chien agita la queue d’un air content. Il avait de magnifiques yeux marron – doré. Pierre remisa cette information au fond de son cerveau. Les inconnus des magasins ne se transforment pas en chien-loup. De toute façon, ce genre de chose n’existe pas, n’est-ce pas ?
« Allez, monte et j’appellerai les vétérinaires du coin pour essayer de retrouver tes propriétaires. Ils auraient quand-même pu te mettre un collier… »
Le chien monta tranquillement et Pierre s’étonna de son comportement. Il réagissait comme s’il était à lui.
Ils arrivèrent sur le palier, Pierre posa ses sacs le temps de trouver les clés et ils furent bientôt dedans.
Pierre se dirigea vers son petit coin cuisine pour ranger ses courses – il avait un petit appartement avec une chambre et une pièce « à tout faire » comme il l’appelait. Ça lui allait bien, il était assez solitaire et ne prévoyait pas d’inviter du monde chez lui.
C’est là qu’il entendit un raclement de gorge. Il se retourna, et heureusement qu’il avait déjà posé ses sacs sinon il les aurait lâchés de surprise.
Un homme brun, d’environ 1 m 80 et avec des yeux marron – doré, se tenait entièrement nu devant sa porte d’entrée.
Le chien, lui, avait mystérieusement disparu.
Pendant qu’une partie de son cerveau essayait d’assimiler ces informations et de les organiser de manière logique – ce qu’il savait très bien faire habituellement – l’autre essayait de comprendre ce que l’inconnu lui demandait.
« Je suis désolé de vous surprendre comme ça, et je vais tout vous expliquer, mais est-ce que vous auriez des vêtements à me prêter, par hasard ? Le changement ne permet pas de les garder. »
En pilote automatique, Pierre le guida vers la chambre, lui désigna son placard et resta debout, légèrement hébété.
« Je vous emprunte un boxer, ce pantalon de jogging et un t-shirt. J’ai toujours chaud donc ça ira comme ça. »
« Euh Ok ? » bafouilla Pierre.
L’inconnu s’habilla, le prit par la main et le ramena au salon. Il le fit asseoir dans le canapé et parti vers la cuisine.
« Je vais vous faire un thé, c’est le meilleur remède dans ce genre de cas. » Il réfléchit une minute, « En fait, ça guérit à peu près tout. »
Il attrapa deux tasses, sortit du thé et leva la boîte au-dessus de sa tête, du thé blanc à la pêche – « Super, vous avez acheté celui-là ! Il est bon, hein ? » , ce à quoi Pierre répondit par un vague bruit – et mit l’eau à bouillir.
Quelques minutes plus tard il avait amené les tasses et était assis avec Pierre, qui le regardait comme si c’était un fantôme. Ou toute autre créature qui n’était pas sensée exister et qui venait de remettre en question sa compréhension – limitée – de la vie et de l’univers.
« Je suppose que c’est le moment où je vous explique tout ? »
Pierre finit par parler de manière quasiment cohérente :
« Ce n’est pas possible ! Le chien… Vous… Je… Ça n’existe pas ! »
L’inconnu sourit.
« Si je n’étais pas qui je suis, je ne croirais pas à mon existence non plus, je vous assure. Je m’appelle Alaric Shaw, et vous êtes Pierre Dubois. »
Pierre se contenta de hocher la tête. Bien sûr que l’homme – ou le chien-loup ? – connaissait son nom, puisqu’il était sur la lettre qui s’était retrouvée dans sa boîte aux lettres.
« Nous ne savons pas exactement expliquer ce phénomène, et pourtant nous cherchons depuis longtemps. Certains d’entre nous sont d’éminents scientifiques, mais même eux n’ont pas encore pu comprendre le mécanisme qui permet à notre corps de se … réorganiser, en quelque sorte. » Il fit une pause. « Je continue ? »
Pierre hocha la tête.
« Nous ne sommes pas sûrs non plus de ce qui fait que nous nous changeons en un animal plutôt qu’un autre, même s’il y a des prédominances familiales. Par exemple, deux loups auront un loup, mais dans le cas d’un loup et un tigre – j’en connais – c’est la surprise. Ils ont eu une petite panthère, d’ailleurs, très jolie. Par contre, l’animal détermine la taille et la corpulence, ou inversement. »
« Donc il n’y a pas de chat domestique, par exemple ? »
« Non, c’est plutôt des tigres, panthères, lions… Un peu gros pour un chat d’appartement ! »
Ils se sourirent.
Pierre commençait à accepter ce qu’il avait vu, ou non, d’ailleurs, mais avait besoin d’une dernière preuve :
« Je ne vous ai pas vu changer. Montrez-moi. »
Alaric ne lui demanda pas s’il était sûr, ça s’entendait à sa voix, et il savait bien que c’était nécessaire d’en passer par là.
Il se déshabilla – Pierre se surprit à trouver le spectacle très agréable – et… changea.
Son corps se réorganisa, le terme était vraiment bien choisi, mais impossible de le décrire vraiment. Il n’y avait pas de bruit d’os brisés ou autres bruits peu agréables, comme écrit dans les histoires de loups-garous, et Alaric ne semblait pas avoir eu mal. Simplement, il avait maintenant la forme d’un chien-loup.
Présent…
Pierre leva les yeux de son ordinateur portable et les posa sur l’homme assis à l’autre bout de la table, lui aussi sur son ordinateur portable, qui soupirait.
« Toi aussi ? » demanda Pierre
Alaric leva la tête.
« Si je dois refaire cette demande une fois de plus, je vais hurler. »
« Ce n’est pas la pleine lune, pourtant, si ? »
Alaric le regarda mi-agacé mi-amusé. L’humour de son compagnon pouvait être un peu répétitif, mais la routine avait quelque chose d’agréable.
« Ce qui me fait penser que j’ai oublié de te dire qu’on se réunit au parc avec les copains à la prochaine pleine lune. Tu viendras ? »
« En plein confinement ? »
« Ils ne vont pas contrôler une meute de chiens-loups. »
Pierre le regarda un moment avant qu’Alaric ajoute :
« Tu as le droit de promener ton chien quand il en a besoin, dans la limite d’1h et dans un rayon d’1 km autour de chez toi. Le parc est à 500 mètres et on ne va pas y passer la nuit, la lune sort tôt en ce moment en plus, donc c’est bon. »
« Tu as pensé à tout . »
« J’ai l’habitude de réfléchir à ce genre de choses. »
« D’accord, sauf s’il pleut. »
« Ok, j’irais seul dans ce cas-là. »
« Et je t’attendrais avec une serviette pour essuyer tes pattes pleines d’eau. »
Ils se sourirent, et Alaric se dit qu’il avait vraiment bien fait de prendre le risque de se dévoiler à Pierre.
Lequel se disait à peu près la même chose au même moment, en partie parce que passer un confinement avec quelqu’un pouvait être vraiment plus agréable – quand on s’entend bien – et qu’un parc à 500 mètres était vraiment sympa – et du luxe.
En parlant de parc…
« J’irais bien me dégourdir les jambes et respirer un peu, tu viens ? »
« Oui, ça me fera du bien aussi. Habillé, ça me fera utiliser ma promenade quotidienne autorisée. »
Concernant le nom du chien-loup-garou / changeforme: ma mère trouve que la montagne Alaric a la même forme que notre chien avait quand il se couchait en s’aplatissant bien. Quant à Shaw, suivant l’étymologie ça peut venir d’un mot qui veut dire « vivant prés de la forêt » ou d’un mot voulant dire « loup ». (Page Wikipedia en anglais)